"Revenu de Référence"
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Chapitre 7
Les Critiques Économiques et Politiques
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Chapitre 7 : Les Critiques Économiques et Politiques
7.1 Crainte de l’assistanat et de l’oisiveté généralisée
7.2 Risque de surendettement public ou hyperinflation
7.3 Objections idéologiques : libéralisme vs interventionnisme
7.4 Arguments moralistes : mérite, travail, responsabilité individuelle
Chapitre 7 : Les Critiques Économiques et Politiques
L’idée du salaire de référence, malgré ses justifications éthiques, politiques et économiques, ne peut échapper à un examen critique approfondi. Nombreux sont ceux qui y verront une mesure trop radicale, risquée ou contraire à certains principes fondamentaux de l’organisation sociale. Les critiques se déclinent selon plusieurs registres : la crainte d’encourager l’assistanat et l’oisiveté, la perspective d’un surendettement public ou d’une hyperinflation, les objections idéologiques relatives au clivage entre libéralisme et interventionnisme, ainsi que les arguments moralistes valorisant le mérite et la responsabilité individuelle.
7.1 Crainte de l’assistanat et de l’oisiveté généralisée
La première critique, sans doute la plus attendue, est celle de l’assistanat. Nombreux sont ceux qui estimeront que verser un salaire de référence inconditionnellement, sans lien avec l’emploi ni le travail, risque de décourager l’effort et la contribution productive à la société. L’oisiveté deviendrait-elle une norme si chacun se sait financièrement sécurisé ? Les activités professionnelles, la prise d’initiatives, l’innovation, ne risquent-elles pas de s’étioler dans une population rassurée par un revenu de base étatique ?
Cette crainte renvoie à une vision pessimiste de la nature humaine : sans le besoin de travailler pour survivre, l’individu se laisserait aller à la paresse. Pourtant, on peut répondre que les motivations humaines ne se limitent pas à la nécessité économique. Le travail, l’engagement, la création, l’entrepreneuriat naissent aussi de la passion, de l’ambition, du désir d’améliorer sa condition, de se réaliser. Le salaire de référence n’abolit pas la possibilité d’augmenter ses revenus par le travail ou l’innovation. Il pose un socle, non un plafond. Nombre d’expériences, y compris dans le cadre du revenu universel, suggèrent que la majorité des individus ne cessent pas de travailler lorsqu’ils ont un minimum garanti, mais reconsidèrent la qualité et le sens de leur activité. De plus, si le salaire de référence est modeste, il n’incite pas à l’inactivité totale, mais libère du stress généré par la peur du manque.
7.2 Risque de surendettement public ou hyperinflation
Une autre critique porte sur les implications budgétaires et monétaires. Si la Banque Centrale crée de la monnaie chaque mois pour payer ce salaire, ne risque-t-on pas de plonger dans l’hyperinflation ? Si l’État utilise l’emprunt pour financer cette mesure, ne s’expose-t-il pas à un surendettement insoutenable ? Ces scénarios rappellent les échecs historiques de politiques monétaires trop expansives.
Là encore, tout dépend des modalités pratiques. Le salaire de référence, pour être tenable, implique une régulation rigoureuse : création monétaire contrôlée, destruction monétaire compensatoire, mécanismes d’ajustement du montant en fonction de la conjoncture. Si la monnaie créée n’est pas simplement injectée sans limite, mais gérée avec prudence, l’inflation peut être contenue. Le rôle d’une Banque Centrale indépendante, mandatée pour assurer la stabilité des prix, demeure crucial. Par ailleurs, si le système est bien conçu, il peut éviter le surendettement public, puisque le principe même d’utiliser la création/destruction monétaire vise à se passer d’un financement par la dette à long terme.
C’est un défi technique et institutionnel, certes, mais pas nécessairement insurmontable. Les critiques légitimes sur ce point exhortent à une ingénierie monétaire et budgétaire fine, ainsi qu’à une transparence accrue. Il ne s’agit pas d’émettre de la monnaie à l’infini, mais de l’ajuster avec subtilité pour maintenir un équilibre macroéconomique. Le risque existe, mais il n’est pas insoluble.
7.3 Objections idéologiques : libéralisme vs interventionnisme
Au-delà des considérations techniques, les critiques s’enracinent aussi dans l’idéologie. Le salaire de référence rappelle des mesures interventionnistes fortes. Ses détracteurs, surtout d’inspiration libérale, y verront une emprise accrue de l’État sur l’économie et la société. Selon cette vision, l’État ne devrait pas régenter la distribution des revenus, mais laisser les individus et les marchés libres d’exprimer leurs préférences, leurs talents, leur mérite. Le salaire de référence semble nier l’importance de la compétition économique, de l’autonomie du marché, et pourrait être accusé de brider la liberté individuelle en imposant une redistribution forcée.
D’un autre côté, on peut objecter que le salaire de référence, en protégeant les individus de l’incertitude, leur offre justement plus de liberté. Libérés de la peur du dénuement, ils peuvent choisir plus librement leur profession, s’investir dans des projets à plus long terme, refuser un emploi indigne, fonder une famille ou se lancer dans l’engagement social. Les libéraux risquent toutefois de ne pas se laisser convaincre, arguant que cette « liberté » acquise l’est au détriment de la discipline du marché, nécessaire à la productivité et à l’innovation.
Les partisans de l’interventionnisme y verront au contraire un instrument de justice et d’équité. La question est alors de savoir jusqu’où l’État peut et doit s’immiscer dans la distribution des richesses. Le salaire de référence déplace la ligne du compromis entre État et marché, en assumant de manière frontale la responsabilité politique des effets macroéconomiques. Ce n’est pas un simple transfert social, mais un acte symbolique fort, susceptible de provoquer des réactions vives de la part des tenants d’un État minimal.
7.4 Arguments moralistes : mérite, travail, responsabilité individuelle
Enfin, les arguments moralistes pèsent lourd dans le débat. Le mérite, le travail, la responsabilité individuelle sont des valeurs profondément ancrées dans beaucoup de sociétés. Le salaire de référence heurte ces sensibilités, car il semble récompenser sans discernement, offrant à tous, même aux paresseux, une rente sans obligation. Aux yeux de certains, la justesse du système exige que chacun gagne sa vie, et que l’insertion sociale passe par l’effort et la contribution productive. Payer les citoyens, c’est leur ôter la leçon morale du travail, la fierté de subvenir à leurs besoins par eux-mêmes.
Mais là encore, la réponse consiste à souligner que le salaire de référence n’est pas un substitut au travail, mais une indemnité liée à l’incertitude politique. Il ne vise pas à consacrer l’oisiveté, mais à reconnaître que la collectivité, via l’État, prend des décisions qui peuvent nuire injustement à certains individus, sans qu’ils en soient responsables. Le mérite, dans cette optique, ne disparaît pas : ceux qui travaillent, innovent, créent continueront d’en tirer des avantages financiers, professionnels, sociaux. Le salaire de référence offre juste une protection de base, un plancher qui permet à chacun de ne pas sombrer au moindre faux pas. Peut-être même cette sécurité renforcera-t-elle la capacité des individus à assumer leur responsabilité, à prendre des risques entrepreneuriaux ou à s’engager dans la formation.
Sur le plan moral, un autre argument peut être avancé : le mérite et la responsabilité individuelle n’ont de sens que si les conditions initiales sont équitables et que nul n’est abandonné en cas de politiques inefficaces. Sans cela, la valorisation du mérite se confond avec la justification de l’injustice. Le salaire de référence, en rendant chaque citoyen un peu moins vulnérable, peut au contraire valoriser le mérite authentique, celui qui s’exprime dans un cadre non faussé par la peur du dénuement.
En somme, les critiques économiques et politiques du salaire de référence recouvrent une vaste gamme d’arguments. On redoute l’assistanat, la paresse, l’inflation, le surendettement, la dérive interventionniste, ou la dissolution du mérite et de la responsabilité individuelle. Ces objections ne sont pas à balayer d’un revers de main, car elles pointent des écueils réels ou potentiels.
La réponse passe par une conception raffinée du dispositif : un montant ajusté, une politique monétaire soigneusement calibrée, une communication claire sur les objectifs et les limites, des mécanismes d’adaptation au contexte économique. Il s’agit aussi de convaincre que l’autonomie et la dignité humaine ne s’opposent pas au travail et au mérite, mais que la sécurité de base fournie par l’indemnisation politique peut favoriser, et non inhiber, l’activité humaine.
Au final, le débat autour du salaire de référence rejoue de vieux dilemmes idéologiques : entre liberté et solidarité, État et marché, mérite et égalité des chances, incitation au travail et protection contre l’incertitude. Le dialogue ne trouvera pas une issue simple, mais la simple existence de cette idée force à reposer les questions fondamentales sur le rôle de l’État, la place du citoyen, et la nature de l’ordre économique que nous souhaitons construire.
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