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"Revenu de Référence"

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Chapitre 3
Le Fondement Éthique du Salaire de Référence

 

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Chapitre 3 : Le Fondement Éthique du Salaire de Référence 
3.1 Justice sociale et responsabilité gouvernementale
3.2 Les citoyens comme « actionnaires » ou « co-gestionnaires » de la nation
3.3 L’idée de réparation préventive : indemniser avant que le dommage ne survienne
3.4 Le salaire de référence comme outil de reconnaissance de la dignité humaine et de la citoyenneté

 

 

Chapitre 3 : Le Fondement Éthique du Salaire de Référence

 

L’idée d’un « salaire de référence » versé à tous les citoyens, indépendamment de leur situation personnelle, peut initialement sembler contre-intuitive. Pourquoi indemniser systématiquement des individus sans même connaître leur situation économique ou l’impact exact des politiques gouvernementales sur leur vie ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de plonger dans les fondements éthiques de la proposition. On découvre alors un raisonnement articulé autour de la justice sociale, de la responsabilité gouvernementale, de la reconnaissance du citoyen comme acteur à part entière de la communauté nationale, et de la dignité humaine inaliénable. Loin d’être une simple mesure comptable ou un expédient technique, le salaire de référence s’appuie sur une conception renouvelée du contrat social.

 

3.1 Justice sociale et responsabilité gouvernementale

Au cœur de cette réflexion se trouve la notion de justice sociale. Dans toute société organisée, l’État n’agit pas en simple arbitre neutre ; il oriente la vie publique par des décisions structurantes (fiscalité, infrastructures, régulations, interventions économiques, etc.). Les gouvernants, mandatés par le peuple ou par d’autres mécanismes institutionnels, assument ainsi une responsabilité implicite : leurs choix peuvent améliorer ou dégrader les conditions de vie des administrés, sans que ces derniers aient toujours la capacité de s’y soustraire.

Cette situation de dépendance vis-à-vis des décisions publiques implique une responsabilité du gouvernement envers les citoyens. Si l’on admet, comme vu précédemment, que l’incertitude est inhérente à l’action politique, alors nul État ne peut garantir que ses mesures, même inspirées des meilleures intentions, ne causeront pas des préjudices. Le salaire de référence incarne donc la réponse éthique à ce constat : il s’agit d’une indemnisation par principe, une forme d’assurance universelle contre les risques politiques.

La justice sociale consiste ici à reconnaître que, face à une autorité aux pouvoirs considérables, le citoyen ne doit pas être laissé sans protection. Le salaire de référence sert à équilibrer la relation en offrant un socle de moyens financiers minimaux, garantissant l’accès aux besoins fondamentaux. Ainsi, quand une réforme économique tourne mal, ou qu’une politique sociale rate sa cible, les citoyens ne sont plus totalement livrés à eux-mêmes. Cette reconnaissance de la responsabilité gouvernementale s’ancre dans une compréhension morale du rôle de l’État : protéger et soutenir, et non risquer la vie de tous pour des paris politiques incertains.

 

3.2 Les citoyens comme « actionnaires » ou « co-gestionnaires » de la nation

La deuxième dimension éthique repose sur la conception du citoyen non comme un simple administré, mais comme un véritable « actionnaire » de la nation. L’État est une entité collective, dont les ressources, les institutions et les réussites appartiennent, en dernière analyse, à l’ensemble de la communauté. Les gouvernants exercent un mandat, une fonction de gestion, mais les bénéficiaires ultimes, les « propriétaires » moraux de la nation, sont les citoyens. À ce titre, ils ne sont pas des sujets passifs, mais des co-gestionnaires, en quelque sorte.

Un actionnaire d’une entreprise attend en retour de son investissement du profit ou au moins des dividendes. Dans le cas de l’État, on peut considérer que chaque citoyen « investit » sa confiance, ses efforts (via le travail, l’impôt, la participation civique), et accepte de respecter les lois. En échange, la société lui doit un minimum d’avantages, de garanties. Si les dirigeants sont payés pour gérer les affaires publiques, pourquoi les citoyens, qui détiennent la souveraineté en dernier ressort, ne recevraient-ils pas eux aussi une forme de dividende, un revenu de base assuré, reconnaissant leur statut de partie prenante essentielle ? Le salaire de référence se comprend alors comme le reflet symbolique et matériel de la qualité de membre à part entière de la communauté politique.

 

3.3 L’idée de réparation préventive : indemniser avant que le dommage ne survienne

Une autre perspective éthique est celle de la réparation préventive. Habituellement, les réparations sont envisagées a posteriori, quand un dommage est constaté : la justice peut ordonner une compensation à la victime. Or, dans le cas de l’incertitude politique, il est parfois impossible d’identifier clairement les victimes d’une décision, ou de déterminer précisément le moment où un préjudice se produit. De plus, attendre le dommage pour le compenser suppose une bureaucratie lourde, une charge de preuve, et souvent l’impossibilité pratique de réparer pleinement le tort moral et matériel.

Le salaire de référence s’inscrit dans une logique inverse : puisqu’on sait d’avance que la politique n’est pas infaillible, que des erreurs, des injustices ou des effets pervers surviendront, mieux vaut indemniser tout le monde en amont. Ce dispositif devient une assurance mutuelle, une manière de prévenir la souffrance et la détresse en fournissant d’emblée une base économique solide. Si certaines politiques échouent, au moins les citoyens ne sombreront pas dans la misère. La réparation préventive s’apparente alors à une forme évoluée de solidarité nationale, tenant compte du fait qu’on ne peut prévoir ni la nature, ni la distribution des dommages.

 

3.4 Le salaire de référence comme outil de reconnaissance de la dignité humaine et de la citoyenneté

Enfin, l’idée du salaire de référence repose sur une dimension fondamentale : la reconnaissance de la dignité humaine. Dans les conceptions modernes des droits de l’homme et de la démocratie, chaque individu possède une dignité inaliénable, un droit à la vie, à la sûreté, à un minimum de bien-être. L’État, garant du bien commun, a pour mission de respecter, protéger et promouvoir cette dignité. Si l’incertitude politique menace la sécurité matérielle de chacun, n’est-il pas cohérent, sur le plan moral, de mettre en place une garantie institutionnelle qui protège les individus du dénuement, même en cas d’erreur collective ?

Cette reconnaissance passe par la matérialisation de l’aide, c’est-à-dire un versement régulier. Le salaire de référence n’est pas une charité, mais un droit, un signe que la société reconnaît la valeur intrinsèque de chaque citoyen. Il en résulte une transformation symbolique du statut de l’individu au sein de la nation : loin d’être un simple « sujet » soumis aux aléas de la politique, le citoyen devient un être respecté, soutenu, considéré comme suffisamment important pour recevoir une allocation inconditionnelle.

Cette mesure rappelle qu’aucun succès politique, aucune croissance économique ne vaut la peine si elle se fait aux dépens de la dignité de certains membres de la communauté. Le salaire de référence incarne cette reconnaissance : avant d’être un rouage économique, un contribuable, un travailleur ou un consommateur, chaque personne est un être humain ayant le droit de vivre décemment, même si les politiques publiques commettent des erreurs ou rencontrent des obstacles inattendus.

 

En somme, le fondement éthique du salaire de référence se déploie sur plusieurs registres. Il s’agit d’abord de justice sociale, d’une responsabilité gouvernementale basée sur l’équité : si l’État est incertain, qu’il paie pour cette incertitude en indemnisant ceux qui en subissent les conséquences. C’est ensuite la vision du citoyen comme co-gestionnaire, détenteur partiel de la souveraineté, qui justifie de le rémunérer, à l’instar des dirigeants. C’est aussi l’idée audacieuse d’une réparation préventive, offrant un filet de sécurité dès le départ, sans attendre la survenance du dommage. Enfin, c’est la reconnaissance de la dignité humaine et de la valeur intrinsèque de chaque membre de la collectivité.

Loin d’être une lubie, cette proposition s’enracine dans une conception profonde du rapport entre gouvernants et gouvernés. Le salaire de référence n’est pas qu’un outil économique : c’est un acte moral, un geste institutionnalisé de respect mutuel et de solidarité préventive. Cette dimension éthique est cruciale pour comprendre les motivations derrière le projet, et pour envisager comment, au-delà de ses implications financières, il pourrait remodeler la manière dont les individus perçoivent leur place dans la société et leur rapport au destin collectif.

 

 

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