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"Revenu de Référence"

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Chapitre 15
Évolution Historique de l’Idée

 

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Chapitre 15 : Évolution Historique de l’Idée 
15.1 Inspiration de la doctrine du revenu de base
15.2 Idées précurseures dans la philosophie politique (Locke, Paine, Rawls)
15.3 Essais contemporains, think-tanks et économistes hétérodoxes
15.4 Le salaire de référence comme étape logique d’une longue réflexion

 

 

Chapitre 15 : Évolution Historique de l’Idée

Le concept du salaire de référence, pensé comme une indemnisation universelle contre l’incertitude politique, n’émerge pas de nulle part. Il s’inscrit dans une longue tradition de réflexion sur la justice, le rôle de l’État, la redistribution des richesses et la garantie d’un minimum vital. Si l’idée même de compenser les citoyens pour les risques imputables aux politiques publiques est relativement nouvelle, elle puise dans une matrice philosophique et économique plus vaste, dont le revenu de base, les pensées de philosophes classiques, les essais contemporains de think-tanks hétérodoxes et de nombreux économistes non conventionnels. Le salaire de référence peut ainsi être vu comme l’étape logique d’une longue histoire intellectuelle et morale, cherchant à équilibrer liberté, dignité et protection commune.

 

15.1 Inspiration de la doctrine du revenu de base

Le revenu de base inconditionnel, ou revenu universel, est sans doute l’influence la plus immédiate dont s’inspire le salaire de référence. Cette idée, discutée depuis des décennies, promeut un montant versé à tous, sans conditions, pour garantir l’accès aux besoins fondamentaux. Le salaire de référence s’en approche dans sa forme (un versement universel et régulier), mais en diffère par sa justification : là où le revenu de base s’appuie souvent sur la raréfaction du travail, l’automatisation croissante, ou la nécessité de simplifier le système social, le salaire de référence se fonde sur l’incertitude politique et la responsabilité gouvernementale.

Cela dit, le revenu de base a pavé la voie conceptuelle. En rompant avec l’idée que l’assistance doit être ciblée, conditionnelle, méritée, le revenu de base a familiarisé le public avec l’idée qu’un soutien monétaire, inconditionnel, pouvait avoir des vertus économiques, sociales et philosophiques. Sans cette maturité du débat, le salaire de référence serait plus difficile à présenter. Ainsi, même si la finalité et la légitimation diffèrent, la doctrine du revenu de base a rendu pensable un dispositif universel et forfaitaire, ouvrant la voie à la variante plus spécifique qu’est le salaire de référence.

 

15.2 Idées précurseures dans la philosophie politique (Locke, Paine, Rawls)

L’idée de garantir un minimum vital, d’assurer une forme d’équité face aux hasards de la vie, n’est pas née avec le XXIe siècle. Les philosophes politiques des siècles passés ont déjà posé les fondations morales.

John Locke, dans sa réflexion sur la propriété et le droit naturel, n’a pas explicitement préconisé un revenu universel, mais son insistance sur la légitimité d’un État assurant la propriété et la sûreté ouvrait déjà la voie à l’idée que l’État doit protéger plus que la simple liberté physique. Thomas Paine, dans « Agrarian Justice » (1797), a défendu l’idée que la terre, ressource commune, doit inspirer la redistribution d’une rente universelle, pour compenser la privatisation des ressources naturelles. Il s’agissait là d’une première articulation claire de la nécessité d’indemniser les individus pour une injustice structurelle (la dépossession des biens communs).

Au XXe siècle, John Rawls, avec sa « théorie de la justice » (1971), pose le principe du « voile d’ignorance » et de la justice comme équité. Bien qu’il ne propose pas explicitement un salaire de référence, son exigence qu’une société juste garantisse aux moins avantagés un maximum de bénéfices possibles se rapproche de la logique de compensation. Si l’on sait que les politiques publiques sont incertaines et peuvent nuire aux plus vulnérables, alors un dispositif universel garantissant un minimum à tous s’inscrit dans la tradition rawlsienne d’assurer que nul ne soit laissé pour compte.

Ces penseurs précurseurs ont forgé le cadre moral dans lequel s’inscrit l’idée contemporaine du salaire de référence. Si Paine parlait déjà de redistribution pour corriger une injustice originelle (la privatisation des terres), le salaire de référence corrige une injustice moderne : l’imprécision et l’imprévisibilité de la gouvernance.

 

15.3 Essais contemporains, think-tanks et économistes hétérodoxes

Au-delà des sources classiques, des économistes hétérodoxes, des think-tanks progressistes et des universitaires explorent depuis plusieurs décennies l’idée de mécanismes nouveaux pour garantir la stabilité sociale et économique. On trouve ainsi des réflexions sur l’idée de dividende citoyen, de revenus issus de fonds souverains (comme en Alaska, où chaque résident reçoit un dividende annuel issu des revenus pétroliers), ou de stabilisateurs automatiques plus robustes dans l’économie.

Certains économistes, sortant du moule néoclassique, plaident depuis longtemps pour des mesures contre-cycliques plus audacieuses, notamment via la politique monétaire. La création et destruction monétaire pour financer un revenu citoyen pourrait être inspirée de propositions d’économistes favorables à la monnaie hélicoptère (« helicopter money »), terme popularisé par Milton Friedman, puis repris par Ben Bernanke et d’autres, visant à soutenir la demande par des distributions directes de monnaie aux ménages. Le salaire de référence applique une logique similaire, mais en l’enrichissant d’une dimension éthique : non pas par simple stimulation économique, mais par justice face à l’incertitude.

Les think-tanks, qu’ils soient progressistes, écologistes ou centrés sur la réduction des inégalités, ont avancé des propositions mixtes, combinant revenu universel, écotaxes, dividendes sociaux, mécanismes monétaires nouveaux. Le salaire de référence se situe dans cette lignée expérimentale, s’inspirant de multiples sources, sans se confondre avec elles.

 

15.4 Le salaire de référence comme étape logique d’une longue réflexion

Au regard de cette évolution historique, le salaire de référence apparaît comme une étape logique, une synthèse entre plusieurs courants de pensée. Du revenu universel, il tire la forme d’un versement inconditionnel ; des philosophes classiques, il hérite l’idée que l’État doit garantir une équité minimale ; des économistes contemporains, il s’inspire des instruments monétaires non conventionnels et du rôle de l’État comme stabilisateur actif.

L’originalité du salaire de référence réside dans l’articulation de ces éléments avec la reconnaissance explicite de l’incertitude politique. On ne cherche plus seulement à compenser une injustice historique (comme Paine) ou à assurer la meilleure situation des plus défavorisés (Rawls), ni uniquement à soutenir la demande (helicopter money), mais à indemniser préventivement le citoyen pour des politiques publiques jamais garanties à 100 %. Cette justification inédite complète le tableau et donne au dispositif une singularité dans le paysage des idées.

Ainsi, l’histoire des idées montre que l’intuition selon laquelle un revenu garanti peut avoir des vertus de stabilisation, de justice et de liberté, n’est pas nouvelle. Le salaire de référence ne surgit pas en rupture totale avec le passé, mais se greffe sur un tronc déjà ancien, celui du revenu universel, et en explore une branche encore inexplorée. On passe de la simple reconnaissance des besoins humains fondamentaux à la prise en compte structurelle de l’imprévisibilité gouvernementale, combinant le souci du long terme, l’exigence morale d’équité et la rigueur institutionnelle.

Cette continuité historique suggère que le salaire de référence pourrait trouver un écho auprès de penseurs et d’acteurs déjà familiarisés avec le revenu universel. Elle indique aussi que si ce dispositif voit le jour, il s’inscrira dans une tradition de remise en question des fondements du contrat social, cherchant à élargir la protection offerte par l’État, non par paternalisme mais par honnêteté sur la nature du pouvoir et des risques qu’il engendre. En somme, le salaire de référence est l’aboutissement temporaire d’un processus intellectuel long, évoluant encore, reflétant la quête perpétuelle d’une société plus juste, plus stable et plus authentique.

 

 

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