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"Revenu de Référence"

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Chapitre 16
Aspect Moral et Philosophique

 

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Chapitre 16 : Aspect Moral et Philosophique
16.1 Légitimité morale de l’« indemnisation citoyenne »
16.2 Le lien entre incertitude et responsabilité : une éthique de la prudence
16.3 Le destin commun : part d’humanité et solidarité
16.4 Les limites : le gouvernement peut-il tout compenser ?

 

 

Chapitre 16 : Aspect Moral et Philosophique

Au-delà des dimensions économiques, politiques et sociales, l’instauration d’un salaire de référence destiné à compenser l’incertitude politique renvoie à des questionnements d’ordre moral et philosophique. Qu’est-ce que la légitimité morale d’une telle « indemnisation citoyenne » ? Quelle éthique se dégage de l’idée que l’État doit reconnaître et assumer la responsabilité de ses erreurs potentielles ? Jusqu’où peut-on envisager que le gouvernement compense les dommages, et existe-t-il une frontière à ne pas franchir ? Ces questions, ancrées dans le domaine des principes, éclairent la profondeur de la proposition et les dilemmes qu’elle soulève.

 

16.1 Légitimité morale de l’« indemnisation citoyenne »

La première question concerne la légitimité morale d’indemniser préventivement tous les citoyens pour le risque que l’action publique leur fait courir. Le postulat est simple : puisque les politiques publiques ne sont jamais garanties dans leurs résultats, qu’elles peuvent échouer ou produire des effets pervers, il est juste et légitime d’offrir un filet de sécurité. Cette légitimité ne repose pas sur la charité, ni sur l’égalité pure, mais sur le principe de responsabilité. L’État, puissance publique, dispose d’un pouvoir qui le place dans une position asymétrique par rapport aux citoyens. Si ce pouvoir entraîne des incertitudes, alors l’institution doit assumer une part du coût de ces incertitudes, au moins sur le plan financier.

De ce point de vue, le salaire de référence est moralement légitime car il reconnaît la vulnérabilité du citoyen face à un ordre politique qu’il ne maîtrise pas. Il ne s’agit pas d’un cadeau, mais d’un droit, similaire à une assurance offerte par l’employeur dans une relation asymétrique. Cette légitimité repose sur l’idée que la justice sociale ne se réduit pas à redistribuer la richesse produite, mais inclut de compenser l’inévitable marge d’erreur de la gouvernance.

 

16.2 Le lien entre incertitude et responsabilité : une éthique de la prudence

L’un des concepts clés ici est celui de la prudence. Dans une éthique inspirée par la reconnaissance de l’incertitude, la prudence consiste à prévoir que des décisions politiques, même rationnelles, peuvent engendrer des conséquences inattendues. Loin de nier l’autorité publique, la mesure du salaire de référence la rend plus humble : l’État admet qu’il n’est pas infaillible. Cette humilité morale devient une valeur en soi.

En offrant ce salaire, l’État exerce une forme de prudence éthique : plutôt que de proclamer sa clairvoyance, il reconnaît ses limites, s’engageant dès le départ à rectifier au moins partiellement les torts possibles. Cette posture contraste avec le triomphalisme habituel des gouvernants, qui prétendent souvent contrôler le futur par une planification rigoureuse. Le salaire de référence acte la vulnérabilité du système politique, et en tire les conséquences pour protéger les individus. On passe ainsi d’une éthique de la toute-puissance à une éthique de la responsabilité anticipée.

 

16.3 Le destin commun : part d’humanité et solidarité

La légitimité morale du salaire de référence s’ancre aussi dans une vision du destin commun. L’idée est qu’en tant que membres d’une communauté politique, nous sommes embarqués dans le même bateau, soumis aux mêmes risques collectifs. Le gouvernement, expression de la volonté générale, prend des décisions pour l’ensemble, sans pouvoir demander un consentement individuel à chaque mesure. Face à ce destin partagé, il est juste que chacun bénéficie d’un socle garantissant une vie digne.

Cette dimension souligne la solidarité intrinsèque qui fonde la communauté politique. Le salaire de référence n’est pas une mesure individualiste, c’est un ciment collectif. En reconnaissant l’incertitude et en indemnisant tout le monde sans distinction, on affirme qu’aucun citoyen n’est jetable, que personne ne doit porter seul le poids des mauvaises politiques. C’est un acte symbolique fort, rappelant la part d’humanité commune et la solidarité, non pas comme vertu optionnelle, mais comme élément structurel du contrat social.

Cette solidarité émerge moins d’un sentiment caritatif que d’une lucidité sur l’interdépendance des destins. Les erreurs ou les succès politiques ne sont pas la somme de choix individuels, mais le résultat d’un système. Le salaire de référence illustre la reconnaissance de cette interdépendance, et incite chacun à se sentir concerné par l’intérêt général, puisqu’il en bénéficie lui-même directement, de manière inconditionnelle.

 

16.4 Les limites : le gouvernement peut-il tout compenser ?

Toutefois, cette logique soulève un problème de limites. Le gouvernement peut-il vraiment tout compenser ? L’incertitude n’est pas seulement politique. La vie humaine est traversée d’aléas naturels, personnels, affectifs, technologiques. Où s’arrête la responsabilité de l’État ? Faut-il compenser les citoyens pour des catastrophes naturelles, des évolutions technologiques imprévisibles, des accidents de santé ?

Le salaire de référence se concentre sur l’incertitude politique, mais celle-ci s’entrelace avec d’autres incertitudes. On peut craindre une inflation du champ des responsabilités, où l’on attendrait de l’État qu’il indemnise chaque malheur, chaque imprévu, ce qui serait impossible et contre-productif. L’éthique de cette mesure doit donc être circonscrite, clarifiée : l’État admet la responsabilité spécifique liée à ses décisions, non la responsabilité de tout ce qui arrive dans la vie. Le citoyen reste un acteur dans un monde complexe, et le salaire de référence ne supprime pas l’aléa existentiel.

De plus, la question se pose de savoir si cette indemnisation ne risque pas de diminuer le sens de la prudence du côté des citoyens et des gouvernants. Si l’État compense en permanence les erreurs, les gouvernants seront-ils incités à réduire l’incertitude par des politiques plus prudentes ? Les citoyens ne deviendront-ils pas plus tolérants à des politiques aventurées, puisqu’ils se savent protégés ? Ce paradoxe invite à concevoir des garde-fous institutionnels. L’éthique du salaire de référence n’est pas de déresponsabiliser, mais de reconnaître l’inévitable. Elle ne doit pas devenir un alibi pour un aventurisme politique excessif.

Enfin, la reconnaissance morale de l’incertitude et de la responsabilité n’est pas un blanc-seing illimité. Le gouvernement peut faire preuve de bonne foi, tenter d’anticiper les risques, et se tromper. Le salaire de référence indemnise ce risque. Mais si le gouvernement agit avec malveillance, corruption ou négligence extrême, peut-on se contenter d’un salaire de référence comme réparation ? Probablement pas. Dans ces cas extrêmes, la responsabilité morale va au-delà de la simple compensation économique. L’éthique du dispositif s’effondre si les décideurs ne cherchent plus à minimiser l’incertitude, mais comptent sur l’indemnisation systématique pour excuser leurs abus. Ce scénario appelle à des institutions robustes et au maintien d’un contrôle démocratique, afin que l’éthique de la prudence ne se transforme pas en licence pour l’irresponsabilité.

 

En définitive, le salaire de référence s’inscrit dans une réflexion morale et philosophique complexe. Il transforme la relation entre l’État et le citoyen, affirmant la légitimité morale de l’indemnisation face à l’incertitude politique. Loin du cynisme, il propose une éthique de la prudence, reconnaissant les limites de la connaissance et les responsabilités mutuelles. Il valorise un destin commun, fondé sur l’humanité partagée et la solidarité de principe.

Mais cette approche n’est pas sans risques ni questionnements. Les limites apparaissent lorsque l’on tente d’étendre indéfiniment le champ des responsabilités étatiques, ou lorsque l’indemnisation pourrait alimenter l’irresponsabilité. Le salaire de référence doit rester un outil mesuré, inscrit dans un cadre où l’État, lucide sur ses faiblesses, s’efforce de faire de son mieux, tandis que les citoyens, assurés d’un socle, continuent à s’engager, à innover, et à faire preuve de prudence et de sens critique.

Cette tension entre reconnaissance morale de l’incertitude et besoin de responsabilité mutuelle résume le défi philosophique du salaire de référence. Sur le plan éthique, ce dispositif est une avancée potentielle, une réconciliation entre la liberté et la protection, entre la dignité individuelle et la vulnérabilité face aux choix politiques.

 

 

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